Henri Barbusse parlait dernièrement dans l’Humanité de ces anarchistes intellectuels qui savent bien ce qu’ils ne veulent pas, mais ne savent pas ce qu’ils veulent. 1Je viens de passer une demi-heure environ à rechercher, parmi de vieux journaux, l’article en question, afin d’indiquer sa date exacte. Je n’ai pu le retrouver. Et dans le premier numéro de Clarté où Barbusse écrivit un article sous le même titre, je n’ai pu retrouver la phrase. Il n’importe d’ailleurs : je me porte garant de l’exactitude de ma citation.. Ce n’est pas ici le lieu de réfuter ce paradoxe verbal autant que verbeux.
Mais comme ce soir, l’esprit porté à la rigolade, je veux néanmoins épingler ces mots en tête de cette première chronique des revues.
Car elle sera, précisément, une manière d’introduction. Avant de commencer à tenir cette rubrique, que j’ai acceptée avec joie, je veux expliquer d’abord à mes amis et lecteurs ce que… je ne veux pas (pour contenter Barbusse!).
Néanmoins, il me permettra sans doute bien, la dictature des faiseurs de discours révolutionnaires n’étant pas encore instaurée, de préciser ensuite ce que… je veux.
Voici donc.
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Ce que je ne veux pas ? Eh ! c’est bien simple. Je ne répéterai pas ce que font presque tous les chroniqueurs.
Ouvrez, en effet, n’importe quelle revue qui se respecte et qui a, comme de juste, une Chronique des Revues. Il y a d’abord le gros du morceau : flatteries et louanges pour les uns, aigres reproches et constatations jalouses au sujet des autres. Puis, suit, en mémento, une liste interminable de revues reçues, une avalanche de titres et de sommaires tous plus ou moins prometteurs. Ça montre évidemment qu’on a regardé les revues reçues, qu’on a lu au moins la couverture, qu’on a déchiré la bande (encore que quelquefois!) Mais après ? Croyez-vous que le chroniqueur a lu tout ce qu’il énumère. Le pauvre homme, la moitié de sa vie n’y suffirait pas.
Regardez encore ces revues et parcourez leurs rubriques. Vous y verrez un fourmillement d’épithètes aussi laudatives que vagues et s’appliquant d’ailleurs avec une égale opportunité à n’importe quelle œuvre. Il serait curieux de faire le bilan des psychologie raffinée, des conteur délicat, des noble écrivain, des poète inspiré, et autres qualificatifs dont on affuble à tort et à travers et à tour de rôle, poètes et prosateurs. Cette méthode ne me dit rien qui vaille et je n’ai pas l’habitude de bourrer ainsi le crâne à mes lecteurs.
Les revues sont encore le dernier refuge de la politesse et de l’urbanité, ces formes raffinées de l’hypocrisie et du mensonge au vingtième siècle. Une revue d’avant-garde ne peut faire autrement que sourire à une autre revue d’avant-garde. Une autre, patriote, admire et contemple béatement le moindre acrostiche ou France rime (combien richement!) avec souffrance. Dès qu’un intrus manque aux convenances, il faut voir comme on lui jette à la tête les pires injures : jalousie, peur de la concurrence, ricanements des médiocrités, etc., etc. Et il se « fait vider » en vitesse du concert familial. Je me ferai probablement maudire aussi.
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Car — Henri Barbusse lui-même ne trouvera pas mauvais que je précise, maintenant que j’ai complaisamment prouvé combien je sais ce que je ne veux pas, moi, misérable anarchiste intellectuel — voici ce que je veux.
D’abord, dire carrément, brutalement s’il le faut, ce que je pense. Je n’imiterai pas ces communistes qui, parce qu’Anatole France adhère au Parti S.F.I.C. se croient tenus de le célébrer pour le plus grand écrivain français et affirment très sérieusement que le scepticisme d’A. F. nous rend précieuse son adhésion à nos idées. Car des idées sont bien fortes, lorsqu’elles peuvent fixer un esprit ondoyant et divers qui fit le tour de tout et ne trouva, partout ailleurs, qu’un plus grand doute. Je ne plaisante pas : c’est de l’Humanité d’aujourd’hui : jeudi 12 janvier 1922. Pour moi, un poète aura beau se dire libertaire : ce ne sera aucunement une raison pour que je trouve admirables toutes ses productions. Et un philosophe aura beau se proclamer — ou être proclamé — d’avant-garde, je ne me croirai nullement tenu de m’agenouiller devant ses. formules. — Que mes lecteurs se rassurent ; je ne veux pas non plus dénigrer systématiquement nos amis, loin de la ! Mais avant tout, j’entends dire ce que je pense et rien que ce que je pense.
Ensuite, je veux faire juger directement à mes lecteurs et non leur imposer mon jugement. Quand je rencontrerai dans une revue, fût-elle royaliste, un beau poème, j’en citerai autant que possible quelques vers. Si un article me frappe, je le résumerai peut-être, mais je tacherai de citer la conclusion ou les passages les plus saillants. Mes chroniques seront le plus souvent « confectionnées aux ciseaux », dirais-je, si cette image n’était périmée et fausse pour moi. Je n’aime pas détériorer mes revues et je m’astreindrai à recopier ce que je voudrai soumettre à mes lecteurs. Mais je ne les abreuverai pas d’épithètes banales, ni de jugements tout faits. Ils jugeront par eux-mêmes et j’imagine que cela leur siéra tout autant.
Enfin, je ferai un choix. Il est des choses que je passerai sous silence, des revues dont je ne parlerai pas. Oh ! je vous entends, mes bons amis : tout effort mérite qu’on s’y intéresse, la poésie, même médiocre, est un idéal préférable à l’abrutissement du bistrot, etc., etc. Je vous entends, vous dis-je. Mais quoi, parce qu’à Cherbourg, un collégien a célébré la rose en strophes désuètes entre une cigarette vomitive et un baba mal digéré, parce qu’à Pont-d’Oye un amoureux chantera les yeux et les cheveux de sa brune ou de sa blonde, au lieu de s’occuper avec elle et de nous fiche la paix, parce qu’à Montélimar ou à Agen, tel patriote local célébrera en ballades ou en sonnets — ou en vers libres — les vertus du nougat et des pruneaux ; il faudrait que je passe mon temps à lire tout cela ? Quand les bois sont si jolis à l’automne finissant, qu’il est si doux maintenant de fumer sa pipe au coin du feu en remuant les souvenirs et les rêves, que bientôt les champs travaillés par le renouveau palpiteront encore de vie et de fécondité. Allons donc ! Il est des revues que je jetterai au panier sans hésiter, je le déclare nettement. Et je ne parlerai ici que de celles qui me paraitront présenter quelque intérêt, soit du point de vue de la pensée, soit de celui de la forme.
Sur ce, ami lecteur, à la prochaine.
Maurice Wullens
- 1Je viens de passer une demi-heure environ à rechercher, parmi de vieux journaux, l’article en question, afin d’indiquer sa date exacte. Je n’ai pu le retrouver. Et dans le premier numéro de Clarté où Barbusse écrivit un article sous le même titre, je n’ai pu retrouver la phrase. Il n’importe d’ailleurs : je me porte garant de l’exactitude de ma citation.