La Presse Anarchiste

Dans les groupements anarchistes

À l’in­ten­tion des cama­rades lec­teurs de notre Revue, j’ex­po­se­rai ici chaque mois les faits saillants de ce mou­ve­ment. Je rela­te­rai l’ac­tion, l’ac­ti­vi­té des com­pa­gnons, leur lente et dif­fi­cile besogne d’é­du­ca­tion, de pro­pa­gande, d’a­gi­ta­tion. Je les mon­tre­rai dans leur lutte contre le milieu social mau­vais, contre leurs innom­brables adver­saires, avoués ou dis­si­mu­lés, cyniques ou hypo­crites ; tous éga­le­ment impla­cables, dont il leur fau­dra triom­pher. Je m’es­saie­rai à dire leurs ran­cœurs et leurs espoirs, aus­si leurs amours et leurs haines, comme leurs joies et leurs tristesses.

Une besogne immense est devant eux : la des­truc­tion des actuelles formes socié­taires, l’é­di­fi­ca­tion d’un ordre social nou­veau. Besogne de Titans Mais telle est la force de l’I­déal qui les anime, que les anar­chistes ne se sentent pas infé­rieurs à la tâche colos­sale ! Ce sont de fiers arti­sans que le labeur n’ef­fraie point ! Ce sont de fiers com­bat­tants que la mêlée attire, insou­ciants des risques et des dan­gers, satis­faits seule­ment quand ils ont affir­mé, cla­mé — face à tous — la Véri­té pro­fonde qu’ils détiennent et qui seule, réno­ve­ra l’Humanité !

Ils ont pris à la gorge le Vieux Monde chan­ce­lant sous le poids de ses crimes, sous la répro­ba­tion des masses sacri­fiées. Et ils ne des­ser­re­ront leur étreinte que le jour où cette Socié­té infer­nale et mau­dite ne sera plus qu’un sou­ve­nir d’un pas­sé loin­tain et honni !

La bataille, donc, est enga­gée, lutte achar­née, lutte à mort. Nous avons confiance. Nous savons qu’elle se ter­mi­ne­ra par la vic­toire écla­tante de la liber­té sur l’au­to­ri­té, de la vie belle et har­mo­nieuse sur les ins­ti­tu­tions qui l’en­serrent et l’é­touffent. Les temps futurs ver­ront la réa­li­sa­tion de notre Rêve ardent : la Liber­té pour tous, le Bien-être pour tous, le Bon­heur pour tous.

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C’est une dure néces­si­té à laquelle nous sommes accu­lés, que celle de la lutte. Nous rêvons d’a­mour et il nous faut haïr ; nous rêvons de paix et il nous faut com­battre. Le mou­ve­ment anar­chiste, c’est une lutte de tous les ins­tants. Tou­te­fois, nous sommes tran­quilles : cette lutte nous est impo­sée, les assaillis, les vic­times, c’est nous. Les assaillants, les cou­pables, ce sont Eux.

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Je ne m’at­tar­de­rai pas ici à faire l’his­to­rique du mou­ve­ment anar­chiste en France. Nos cama­rades savent que ce mou­ve­ment découle des tra­vaux de la Fédé­ra­tion Juras­sienne dont furent Bakou­nine, Reclus, J. Guillaume, Kro­pot­kine, théo­ri­ciens de grande valeur, pen­seurs pro­fonds, qui impri­mèrent à l’A­nar­chie ses prin­cipes et sa doc­trine, lui don­nèrent sa lit­té­ra­ture et sa phi­lo­so­phie. C’est avec ceux-là et grâce à ceux-là que l’A­nar­chie prit place dans le grand cou­rant des idées modernes.

Ce fut un émer­veille­ment que l’ap­pa­ri­tion de cette idée. Une morale nou­velle sur­gis­sait, et com­bien dif­fé­rente des autres ! Des hommes à la pen­sée géné­reuse se firent les apôtres de la véri­té anar­chique et allèrent, répan­dant les ensei­gne­ments de cette éthique nou­velle, toute d’hu­ma­ni­té. Pour la pre­mière fois, les foules enten­daient par­ler de leur libé­ra­tion de toutes les servitudes.

Inquiets tout d’a­bord, les maîtres ne lar­dèrent pas à trem­bler. Ils ne vou­laient rien alié­ner de leurs pri­vi­lèges et de leurs pré­ro­ga­tives. L’i­dée s’af­fir­mait néga­trice des condi­tions et des étiages sociaux, néga­trice des « droits » pro­prié­taires. Ils réagirent. Vint la répression.

Les bons phi­lo­sophes, les doux rêveurs, se virent appré­hen­der, jeter en pri­son. Ils appré­cièrent que pen­ser équi­vaut à com­mettre un crime et que, pour la sécu­ri­té de l’ordre social bour­geois, le pen­seur doit être châ­tié. Et si quelques illu­sions leur étaient res­tées sur la Jus­tice des Puis­sants les arrêts ren­dus contre eux leur eussent alors des­sillé les yeux. Docile, la magis­tra­ture ser­vait de rem­part aux pos­sé­dants qui la salariaient.

Des indi­gna­tions se firent jour et des colères écla­tèrent. La bour­geoi­sie avait jeté le masque ; il fal­lait accep­ter le défi. Vint alors — réponse logique aux exac­tions du pou­voir — la phase ter­ro­riste de l’anarchie.

Époque dou­lou­reuse, mais époque glo­rieuse. La parole fut au poi­gnard et à la bombe et ce fut jus­tice puisque les maîtres avaient pros­crit l’ex­pres­sion. de la pensée.

Une répres­sion sau­vage s’en­sui­vit. Tout ce qui était anar­chiste était tra­qué, pour­sui­vi, pro­mis par avance aux geôles ou au bagne. Consé­quente avec elle-même la bour­geoi­sie régnante accu­mu­lait crimes et ini­qui­tés pour se survivre.

Et c’est notre joie pro­fonde de consta­ter que rien de cela n’a entra­vé l’es­sor de l’I­dée. Tout comme avant la sombre période de 1893 – 94, l’a­nar­chie est debout, n’ayant rien abdi­qué d’elle-même, pour­sui­vant son rôle et sa mis­sion d’af­fran­chis­se­ment humain.

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À la phase héroïque, suc­cé­da la phase d’or­ga­ni­sa­tion, de tra­vail. Les com­pa­gnons s’a­don­nèrent à la pro­pa­gande, à la dif­fu­sion de l’I­dée. Notre Liber­taire vit le jour, ain­si que les Temps Nou­veaux ; quelques années plus tard l’Anar­chie. Des groupes se for­mèrent, de nom­breuses publi­ca­tions s’é­di­tèrent. Des réunions de pro­pa­gande se tinrent par­tout, aux­quelles tous étaient conviés à venir entendre la pen­sée anar­chiste. La parole vibrante et pas­sion­née des com­pa­gnons secouait l’a­pa­thie des foules, les inci­tait à réflé­chir, à pen­ser et à agir.

Rude tâche que celle-là ! Tâche qui néces­site des convic­tions pro­fondes, un idéa­lisme éle­vé et un don com­plet de soi-même à la grande cause d’une socié­té meilleure. Tâche qui pour­tant porte ses fruits, car ce n’est jamais en vain que l’on s’a­dresse au cœur du peuple si mal­heu­reux et si trompé.

Le rôle joué par les anar­chistes dans le mou­ve­ment social de ces der­nières années ne fut certes pas pré­pon­dé­rant ; il fut néan­moins des plus impor­tants. Sin­cères, actifs et dés­in­té­res­sés, les anar­chistes sont tou­jours à l’a­vant-garde du mou­ve­ment pro­lé­ta­rien. Tou­jours leurs ini­tia­tives sont les plus har­dies, les plus géné­reuses et les plus heu­reuses. Com­ment une telle action n’au­rait-elle pas sa réper­cus­sion sur l’en­semble des condi­tions sociales ? Il n’est pas exa­gé­ré de dire que le mou­ve­ment ouvrier en France, avant la décla­ra­tion de guerre était des plus actifs et net­te­ment révo­lu­tion­naire, et qu’il devait en grande par­tie cette acti­vi­té et ce révo­lu­tion­na­risme à l’im­pul­sion du mou­ve­ment anarchiste.

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Vint la guerre. La guerre vou­lue, savam­ment pré­mé­di­tée, soi­gneu­se­ment pré­pa­rée par les maîtres de par­tout. Et c’est pour les anar­chistes une joie et un orgueil que de se rendre ce témoi­gnage : dans la tour­mente, ils ont su res­ter eux-mêmes. Alors que souf­flait le vent d’u­ni­ver­selle folie qui fai­sait vaciller les convic­tions et les consciences, les anar­chistes, seuls ou presque, n’ont pas som­bré dans la démence col­lec­tive. La défec­tion même de leurs théo­ri­ciens les plus aimés, si elle les a attris­tés, ne les a jamais abat­tus. Leurs jour­naux sup­pri­més, leurs groupes dis­per­sés, les anar­chistes, sauf une infime mino­ri­té, res­tèrent fidèles à leur Idéal et jamais ne pac­ti­sèrent avec la guerre. Un grand nombre d’entre eux refu­sa de par­ti­ci­per à la guerre. Quelques-uns le firent héroï­que­ment. Beau­coup déser­tèrent. Seuls, tra­qués, pour­sui­vis, empri­son­nés, calom­niés, les anar­chistes ne ces­sèrent à aucun montent la lutte contre la guerre. La période 1914 – 1918 est une des plus belles de leur histoire.

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Après cinq années de car­nage et d’a­tro­ci­tés, les maîtres satis­faits déci­dèrent l’ar­rêt — momen­ta­né — du mas­sacre. Cette période devra s’ap­pe­ler non « la Paix»mais l’«Après-guerre ».

En jan­vier 1919, c’est-à-dire deux mois après la ces­sa­tion des hos­ti­li­tés sous le régime de la cen­sure et de l’é­tat de siège, quelques cama­rades lan­çaient à nou­veau Le Liber­taire qui, depuis lors, prit une exten­sion lente mais cer­taine. La place du jour­nal dans le mou­ve­ment anar­chiste fran­çais est de pre­mière impor­tance. Au prin­temps 1919, la Fédé­ra­tion anar­chiste se recons­ti­tuait et son action inces­sante situait le mou­ve­ment en toute clarté.

À cette époque, un de nos meilleurs cama­rades, Cot­tin, accom­plit sur la per­sonne d’une des plus féroces hyène du régime, un geste de pro­tes­ta­tion que, sans réserves, tous les anar­chistes approuvèrent.

Gros­sis­sant ses effec­tifs et éten­dant son rayon­ne­ment, la Fédé­ra­tion anar­chiste entre­prit, lors des élec­tions de novembre 1919, une cam­pagne anti-par­le­men­taire qui, sans éga­ler celles de 1910 et de 1914, eut cepen­dant une influence et une por­tée réelles.

La crise éco­no­mique mon­diale qui se tra­duit par­tout par une aggra­va­tion du sort des tra­vailleurs condui­sit ceux-ci en 1919 et sur­tout en 1920 à entre­prendre des mou­ve­ments de grande enver­gure. Le mou­ve­ment de Mai sur­tout nous ins­pi­ra de vives espé­rances qui ne furent déçues que par la tra­hi­son des chefs syn­di­ca­listes. Au cours de ces mou­ve­ments, les anar­chistes se dépen­sèrent sans comp­ter pour les orien­ter dans une voie tou­jours plus révo­lu­tion­naire. Beau­coup des leurs furent frap­pés à cette occasion.

En novembre 1920, se tenait à Paris le pre­mier Congrès d’a­près-guerre des anar­chistes fran­çais. Il mar­qua de la part de ceux-ci une volon­té d’ac­tion et de pro­pa­gande des théo­ries de l’anarchisme.

L’an­née qui vient de s’é­cou­ler fut pour l’U­nion anar­chiste une période d’ac­ti­vi­té sans pré­cé­dent. Tour­nées de pro­pa­gande, orga­ni­sa­tion de confé­rences, mee­tings sur tous les points du pays. Avec des res­sources plus que modestes et des moyens d’ac­tion limi­tés, l’U­nion accom­plit une besogne sérieuse, qui ne pour­ra aller qu’en se déve­lop­pant et en s’in­ten­si­fiant. Tel est le sou­ci de cha­cun des mili­tants qui com­posent l’U­nion anarchiste.

Le Congrès de Lyon (novembre 1921) fut pour tous un récon­fort et un encou­ra­ge­ment. En dépit des mau­vaises condi­tions éco­no­miques et des dif­fi­cul­tés maté­rielles, 60 groupes étaient repré­sen­tés et les congres­sistes, deux jours durant, tra­vaillèrent en accord com­mun et en fra­ter­ni­té parfaite.

Au Congrès inter­na­tio­nal de Ber­lin (décembre 1921) l’U­nion anar­chiste était repré­sen­tée par quatre délé­gués. Des tra­vaux de ce Congrès sor­tirent des réso­lu­tions sérieuses et des résul­tats cer­tains furent obtenus.

* * * *

Telle est l’ac­tion pré­sente des anar­chistes. Tou­jours dans la bataille, ils mènent avec cou­rage et téna­ci­té la lutte contre les ini­qui­tés. Hier, c’é­tait pont nos amis Sac­co et Van­zet­ti qu’ils menaient cam­pagne afin d’ob­te­nir leur vie sauve et leur libé­ra­tion. Pour atteindre ce résul­tat rien ne fut épar­gné. Avec force et déci­sion, les anar­chistes affir­mèrent leur volon­té de ne pas lais­ser s’ac­com­plir ce nou­veau crime de la jus­tice bourgeoise.

Aujourd’­hui, pour nos cama­rades espa­gnols tor­tu­rés, mar­ty­ri­sés dans les cachots de l’in­qui­si­tion, assas­si­nés au coin des rues par les mer­ce­naires au ser­vice des pos­sé­dants, les anar­chistes élèvent leurs voix et font entendre leurs protestations.

Pour empê­cher de telles atro­ci­tés, pour empê­cher que les cama­rades réfu­giés à l’é­tran­ger ne soient livrés à la féro­ci­té et au sadisme des sbires du capi­ta­lisme espa­gnol, les anar­chistes en appellent à tous les opprimés.

Pour Cot­tin ago­ni­sant en cen­trale, pour tous les empri­son­nés, pour toutes les vic­times du régime d’ab­jec­tion, les anar­chistes entrent en lice et de toutes leurs forces œuvrent pour leur libération.

Voi­ci donc, cama­rades lec­teurs, où en est actuel­le­ment le mou­ve­ment anar­chiste fran­çais. Chaque mois, à cette place, je vous entre­tien­drai des grou­pe­ments anar­chistes, de l’ac­tion qu’ils mènent, des cam­pagnes qu’ils entre­prennent et de la pro­pa­gande qu’ils poursuivent.

Sou­hai­tons ensemble que je n’aie à vous entre­te­nir que d’un mou­ve­ment accru, gagnant sans cesse en éten­due, en force et en puis­sance, mou­ve­ment qui implan­te­ra irré­sis­ti­ble­ment, au plus pro­fond des cœurs et des cer­veaux, notre sublime Idéal : l’Anarchie.

Mau­rice Fister


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