Répression féroce. Résistance énergique
Rares et imprécises sont les nouvelles d’Espagne. Les agences et les journaux complices des gouvernements jettent, un voile discret sur la lutte tragique qui se déroule entre le prolétariat et ses exploiteurs, au delà des Pyrénées. La classe ouvrière de ce pays ne saurait demeurer indifférente aux événements qui agitent la péninsule ibérique ; déjà, les militants se sont émus à la lecture des articles publiés par Sébastien Faure dans le Libertaire, et ceux parus dans les journaux communistes ou socialistes. Les informations apportées par les camarades espagnols de passage en France faisaient la base de la documentation de toute cette propagande, base insuffisante que vient compléter une brochure publiée par la Confédération Nationale du Travail espagnole.
Cette brochure intitulée Pages de sang (1920 – 1921) donne sur la répression espagnole des renseignements scrupuleusement exacts et contrôlés ; ceux-ci sont encadrés d’un prologue et d’un épilogue dont on lira ci-après les traductions et qui permettent de juger justement les choses tragiques de tra los montes.
« L’Espagne n’a pas passé par la phase d’une révolution bourgeoise qui eût établi le pouvoir de l’industrialisme libéral. Les mêmes seigneurs féodaux continuent, leur « histoire » s’étant seulement transformés en capitalistes et ayant hérité des instincts barbares de l’époque médiévale. L’influence de la Révolution française avec ses libertés politiques ne s’est pas fait sentir sur la bourgeoisie espagnole et toute l’intransigeance, toute la férocité du féodalisme demeurent en elle.
« Par contre le prolétariat. influencé par les tendances internationales et révolutionnaires des prolétariats européens se trouve au même niveau que les ouvriers des autres pays. Le choc entre cette bourgeoisie despotique, rapace, attardé et un prolétariat à tendances modernes était inévitable.
« La bourgeoisie du reste du monde a soin de confier le pouvoir à des gens suffisamment souples pour éviter de rendre trop implacable la lutte des classes. En Espagne, au contraire, ce sont toujours les hommes et les partis les plus arriérés qui ont été portés au pouvoir.
« On a cru ainsi régler « militairement » le problème social, on a cru que la question sociale se pouvait résoudre avec des baïonnettes. Aux cris de la classe ouvrière, à la voix de la revendication des malheureux, aux désirs d’amélioration, aux aspirations à des formes sociales plus parfaites, on a répondu avec des mitrailleuses, avec la prison, la déportation ou la torture.
« Des membres de la Confédération Nationale du travail ont été déportés, arrêtés sortant d’une prison pour entrer dans l’autre. Par centaines, des hommes ont été ainsi enfermé, durant des mois sans que rien puisse légalement justifier leur détention. D’autres ont été frappés, à coups de bâton, de sabres ou de crosses de fusils et leurs corps sont couverts de blessures. D’autres ont été assassinés en pleine rue, dans les cafés, dans leurs propres maisons par les bandes de la bourgeoisie. Quelques-uns ont été relâchés de prison en pleine nuit et assassinés dans la rue par les sicaires des patrons. Sur certains, on a exercé la torture avec des procédés que ne désavoueraient pas les tortionnaires de l’Inquisition : coups répétés sur le crâne, cigares allumés appliqués sur les yeux, torsion des testicules avec des cordes de guitare, nourriture composée de morue salée sans nulle boisson durant des jours, arrachage de la langue, etc… Des détenus sont ainsi devenus fous après avoir subi ces atroces tortures. Certains militants ont vu leur domicile assailli en pleine nuit, leurs meubles brisés et leur famille maltraitée, leurs parents et enfants maintenant meurent de faim, pendant qu’ils agonisent en prison. La Confédération Nationale du Travail a été persécutée, ses bureaux fermés, sa presse interdite, ses fonds volés ; on a supprimé tout droit de réunion et d’association. La répression a été générale dans toute l’Espagne, mais c’est à Barcelone qu’elle a sévi avec le plus d’intensité. Le gouverneur Bas qui tendait à une solution amiable de la crise sociale a été chassé par les patrons…»
La brochure de la C.N.T. donne ensuite le détail des assassinats et des actes de cruauté répressive commis par une police ignoble et les séides mercenaires du patronat espagnol. Plus de cent militants ont ainsi été assassinés par les bandes patronales et un grand nombre arrêtés, sans qu’on ait, depuis lors, pu savoir ce qu’ils étaient devenus. La terreur règne, la persécution continue et les arrestations augmentent chaque jour. Actuellement plus de 1.500 personnes sont emprisonnées en Espagne par caprice gouvernemental. Tous ou presque tous les militants ouvriers sont détenus. Les années de prison distribuées se chiffrent par milliers. Pour éviter que les accusés puissent établir leur innocence, on a supprimé la défense, le jury revenant ainsi à la justice du moyen âge. Les avocats des syndicats ont été victimes d’attentat et plusieurs ont été grièvement blessés ; l’un d’eux vit un ami qui l’accompagnait tué par les balles qui lui étaient destinées. La plupart ont dû quitter Barcelone pour échapper aux menaces de mort.
La bourgeoisie a sous ses ordres des bandes d’assassins appelés « syndicat libre » et « Somaten » qui accomplissent impunément leur sinistre besogne et y sont aidés par la police et la garde civile.
Voilà, je pense, des renseignements suffisants pour susciter l’indignation des prolétariats du monde entier si ceux-ci avaient quelque énergie… Mais en ont-il encore ? Depuis qu’ils ont subi la « guerre du Droit » les peuples semblent encore plus avachis qu’avant 1914. Vont-ils secouer leur torpeur ?
Chose assez troublante, les journaux socialistes et communistes n’ont que très peu parlé des faits ci-dessus contés. D’autre part, un journal communiste édité depuis quelque temps à Bilbao ne dit rien ou presque, des événements tragiques de Barcelone. Pourquoi la Bandera roja observe-t-elle une telle discrétion ? On y lit des discours de Radek sur les soviets et les dettes du tzarisme, des considérations sur le fascisme italien, mais rien sur le fascisme catalan. Ce n’est guère la peine de s’intituler le Drapeau rouge pour être si pâle!…
Genold