La presse quotidienne dite d’information, la grande bourreuse de crânes, remplit consciencieusement son rôle de vile domesticité. Avec une maestria digne d’une meilleure cause, elle dénature les faits, tronque, arrange les déclarations des personnages en vue suivant les ordres gouvernementaux, ou les mots d’ordre des partis.
Elle fait aux actes qualifiés crimes la plus dangereuse publicité, œuvrant parallèlement en cela avec le cinéma et le théâtre.
Dans tout ce fatras d’informations tendancieuses, de faits truqués, de basse démagogie ou de politicaillerie écœurante qui constitue la grande presse, on est vraiment embarrassé pour trouver les extraits susceptibles d’être présentés dans une Revue anarchiste.
Pourtant, il arrive qu’un aveu s’échappe de la plume d’un de ces larbins de la classe possédante.
Il y a encore dans les journaux dits de gauche quelques écrivains plus indépendants que leurs confrères de droite.
Nous tâcherons de relever, pour les présenter aux camarades, quelques-uns de ces aveux, et les propos que nous jugerons les plus près de la vérité.
Le Congrès Communiste
Les divisions qui se manifestèrent au Congrès du Parti, S.F.I.C. à Marseille, donnent à A. Capus l’occasion de pousser dans le Gaulois ce cri de triomphe :
Il est intéressant, à cette fin d’année, que le Congrès communiste de Marseille nous permette une vue d’ensemble sur les forces révolutionnaires de notre pays. Elles apparaissent comme si profondément divisées et se divisant de plus en plus, sous l’influence des amours-propres et des appétits, que l’émiettement définitif en est certain. De l’attraction exercée depuis trois ans sur le prolétariat par la dictature des Soviets, il ne reste plus qu’une espèce de tremblement à la surface. La secousse n’a pas atteint les profondeurs. Ce n’est pas la première fois que nous le constatons, mais jamais il n’a été possible de le vérifier mieux que dans l’étalage criard du Congrès de Marseille où l’absence de pensée, le souci des intérêts, le rôle de la vanité sont exactement ce qu’on les a toujours vus dans toutes les assemblées humaines. Il n’y a rien là qui nous change des plus vieilles habitudes de l’humanité, rien qui annonce une société nouvelle, pas une faiblesse, pas un vice que nous ne connaissions déjà. L’expérience russe nous montre, d’ailleurs, que les fantômes révolutionnaires sont conjurés, que le bolchevisme a épuise sa magie et qu’il a tracé « le cercle amer où les brebis refusent de brouter » comme dit, Prospéro. Les brebis, c’est la classe ouvrière, qui a découvert le maléfice et fuit les sorciers.
La forteresse capitaliste est donc imprenable. L’assaut conduit par ses ennemis du dehors s’est brisé coutre ses murs.
Et cela prouve, une fois de plus, que l’on peut être académicien, et même autre chose comme Capus, et se fourrer le doigt dans l’œil. La classe ouvrière qui a, comme il le dit si bien, découvert le Maléfice bolcheviste et fuit les sorciers, n’a pas renoncé pour cela à abattre la forteresse capitaliste. Elle y parviendra, aussi grande que soit l’épaisseur de ses murs. M. Capus peut en être assuré
L’illusion perdue
Comme un vulgaire caniche, ou un quelconque piéton de deuxième classe, Mossieu le Procureur Général Bulot s’est fait écraser par une auto.
Quel est le mécréant qui osera affirmer tenant qu’il n’y a pas une Providence ?
Avant de rendre au Dieu des bourgeois sa belle âme de pourvoyeur de potences, le si « sympathique » magistrat a fait au juge chargé d’enquêter sur son accident cette déclaration, que le Gaulois qualifie de « savoureuse » :
― En descendant du tramway, a‑t-il dit, j’ai bien aperçu l’automobile, mais j’étais convaincu qu’il allait stopper, en conformité des règlements…
L’éminent magistrat croyait encore à la puissance des lois, ordonnances, arrêtés, etc. Il avait pour lui un texte qu’on ne pouvait interpréter de deux façons.
M. Bulot est cependant un vieux Parisien qui connaît les chauffeurs.
Les anarchistes, eux, ont trop connu Bulot. Je parie que cela va leur donner le goût de la lecture… des faits-divers.
C’est la baisse… des salaires !
L’intransigeant, en annonçant la baisse des salaires dans les mines, écrit :
À chaque baisse de 2,50 correspond une baisse du prix du charbon de 5 francs par tonne. Au 1er avril donc, le charbon du Nord et du Pas-de-Calais aura baissé de 10 francs par tonne.
Pour concurrencer les charbons anglais, la baisse devrait atteindre de 15 à 20 fr. par tonne suivant les endroits. Donc c’est seulement par l’amélioration de l’outillage des mines et par la réduction des dividendes qu’on pourra y arriver, en même temps que par la baisse des salaires.
Diminuer les dividendes ? L’Intran va un peu fort. Il veut donc mettre sur la paille ces pauvres actionnaires, ces malheureux administrateurs?…
Et encore, ces messieurs consentiraient-ils à ce pénible sacrifice, là n’est pas la solution. L’Intran le sait bien. Mais ce n’est pas son rôle, n’est-ce pas de préconiser la prise de possession des mines par ceux qui travaillent.
D’autres. se chargeront de cette besogne.
Cannes
C’est la question du jour. Blâmé par les uns, louangé par les autres, Briand n’en continua pas moins ses petites conversations avec les autres huilés du Conseil Suprême.
« Nous autres communistes, n’avons rien de bon à attendre de ces conversations », écrivait dans l’Humanité, Cachin, cependant que Paul Louis, dans le même numéro, affirmait, que la journée où Lloyd George prononça son fameux discours fut « d’un suprême intérêt pour le prolétariat ».
Allez donc vous y reconnaître !
Mais Marcel Cachin est revenu sur sa première opinion. Car le gouvernement russe a été implicitement reconnu par Briand, et alors :
Les représentants officiels de la France, à Cannes, ont cédé devant, les exigences de leurs alliés ; ils ont décidé de rompre avec la stupidité des réactionnaires militaristes qui les poussaient à l’action isolée, qui voulaient employer contre l’Europe continentale la manière forte. C’est un fait de grande portée : on causera désormais avec l’Allemagne, on s’entretiendra avec les gouvernements de la Russie, non plus par personnes interposées, mais directement. Et sans doute la reconnaissance des Soviets, ainsi admise, le désaveu éclatant inflige a toute la politique anti-soviétique du quai d’Orsay et de l’Élysée, sont-ils les événements les plus importants de ce moment !
C’est le sentiment de la presse bourgeoise de Paris déçue, irritée contre le ministère Briand qu’elle menace dès la rentrée de ses représailles.
Heureusement, Marcel sera là!…
Chez les gens du Roy
L’Action Française nous annonce quotidiennement, avec une ténacité remarquable les pires fléaux et les plus imminentes catastrophes :
« Pour avoir l’alliance anglaise, la République sacrifie : la frontière militaire du Rhin, les réparations, notre flotte, notre armée, notre indépendance. Elle multiplie à plaisir les risques de guerre, de faillite et de Révolution. »
Ah ! si Gamelle était sur le Trône, et Daudet, Maurras et Pujo ses ministres, tout cela n’arriverait pas. Mais voilà, c’est Millerand qui est président, et Millerand, écrit Daudet :
Millerand est un juriste, vivant dans le demi-irréel, qui n’a pas d’envergure politique et dont l’horizon intellectuel est borné. Il a appelé à la présidence du Conseil un aventurier de la plus basse politicaillerie, une chiffe à grosse ruse, un vrai souteneur ― c’est sa définition la plus exacte ― qui est Briand, flanqué d’un vil Tartufe, peint en dévot, qui est Bonnevay.
Au premier de ces messieurs. En voilà déjà trois de servis.
Parlementarisme
De son propre aveu, dit Maurras dans le même journal, Briand prête la main au chantage anglais.
Mais M. Millerand aura-t-il le courage d’essayer de porter la main sur l’amas de ses vieilles fautes et sur celui qui les protège et qui les défend ? Si M. Millerand fait défaut, une assemblée saura-t-elle élaborer une volonté et une pensée ?
J’avoue que l’un et l’autre fait m’étonnerait profondément. Il y a chez M. Millerand une irrésolution sans limite. Et l’animal aux six cents têtes, sans doctrine commune, sans unité d’intérêt, ne peut pas grand’chose non plus. Notre informateur parlementaire est moins pessimiste. Il dit plus loin : A moins que la Chambre ne se déjuge… Il y a peu d’exemples mon cher Picot de Plédran, que cette Chambre et ses aînées ne se soient pas déjugées à la moindre saute de vent. On la reconquiert vite quand on dispose des deux moyens du régime : tromper et payer, corrompre et mentir.
Pour une fois, le barbier du Roy a dit la vérité. Parlementarisme est synonyme de pourriture.
Mais est-il possible de concevoir un régime autoritaire qui n’ait à sa base la corruption et le mensonge ?
Les Idées
Seul de toute la presse quotidienne, le Journal du Peuple a droit à une mention spéciale. C’est le seul journal dans lequel les anarchistes puissent faire entendre leur voix et annoncer leurs réunions, leurs meetings. C’est le plus éclectique et le plus indépendant des journaux socialistes. Dans le numéro du 10 janvier, sous le titre : Individualisme et Socialisme, Paul Brulat écrit :
L’homme est, de tous les êtres de la création, le moins fait pour vivre seul ; il ne peut se passer de l’aide de ses semblables et, dès sa naissance, il est redevable envers la collectivité, puisqu’il bénéficie de tous les progrès réalisés jusqu’à lui.
L’histoire de l’Humanité est faite de la lutte continuelle entre ses trois grands principes : L’Autorité, L’Individualisme et la Fraternité. C’est une théorie magnifiquement développée par Louis Blanc, dans le premier volume de son Histoire de la Révolution française. Celle-ci fut le triomphe de l’Individualisme, de Rabelais, de Montaigne et de Voltaire. Le courant part de haut ; on le suit a travers l’Histoire, grossissant sans cesse ; si bien qu’il se confond avec le cours même de la vie intellectuelle et morale de l’humanité.
Mais l’individualisme sera un jour dépassé, il ne satisfera plus à l’idéal humain, il achèvera sa carrière comme l’Autorité a fourni la sienne. L’ère de la Fraternité apparaitra à son tour. L’ère de Fraternité qui, seule, peut affranchir le monde oppressé par l’égoïsme, nous délivrera de maux terribles, et qui, seule enfin, par l’harmonie, enfantera la liberté.
Voilà qui est bel et bon. Mais l’individu s’il a des devoirs a aussi des droits. Du fait de sa naissance, il a droit à tout ce que la vie comporte de joies. Et la Société marâtre dans laquelle, sans le faire exprès, il tombe, ne lui réserve, surtout s’il est de la classe pauvre, que peines et souffrances. C’est pourquoi nous luttons pour l’ère de Fraternité, de Liberté, d’Harmonie dont parle P. Brulat, en un mot, pour l’Anarchie.
Révolutionnaires!…
Hélas!… Trois fois hélas ! Briand, jugeant sa situation intenable du fait des attaques dont il est l’objet, démissionne. Et alors, c’est une grande désillusion, une consternation chez les braves parlementaires communistes dont l’ex-guerre-du-droitiste Marcel Cachin est. le plus bel .échantillon. Écoutez-le :
Dans ces conditions, un gouvernement se prépare qui va tenter d’appliquer les formules de la réaction à l’extérieur comme à l’intérieur. Qu’il vienne ! Notre parti est prêt à la bataille avec ses conséquences. Mais si la portion la plus brutale du bloc de droite se saisit du pouvoir et prétend se dresser à la fois contre l’Europe et contre la classe ouvrière, elle fournira à notre Parti des occasions nouvelles de combat et de succès assuré.
La démission du ministère accroit le trouble et aggrave les dangers de la situation nationale et internationale.
J’te crois!… Mais comme ils avaient raison les copains qui, à Levallois, face à Cachin, l’accusaient de collusion avec Briand. Et ce sont ces gens qui prétendent monopoliser la Révolution !
Farceurs!…
Groupe d’affinité
Un nommé Corpechat, dans le Gaulois, signale comme un événement. bien parisien le déménagement du « Jockey-Club », que la vie chère atteint aussi, le pôvre :
Une réunion comme le Jockey, se restreindra, en viendra à n’être plus qu’une société composée d’un très petit nombre de gens de la même classe, d’une même éducation, mettant en commun leurs ressources, diminuées, pour continuer à moins de frais une vie élégante, recevant à frais communs, cotisés pour donner des fêtes, des chasses, faire courir des chevaux, se procurer des distractions d’ordre esthétique ou littéraire…
Mais quel est le crétin qui soutenait qu’il était impossible de réaliser le communisme en société capitaliste!…
Voilà, je crois, une expérience communiste qui, au contraire de beaucoup d’autres, ne peut manquer de réussir.
Au bagne
Dans la Liberté, organe de la Tour Pointue, Jacques Dhur publie, sous le titre « Visions de bagne », des articles dont on devine le but, sur la vie des malheureux que la vindicte bourgeoise envoie à la Nouvelle pour des temps plus ou moins longs, quand ce n’est pas pour toujours.
Un bagne, vous voulez rire : un séjour enchanteur où vont, viennent, des gens vêtus de toile et coiffés de grands chapeaux. Écoutez ce cocher, en veine de confidences :
― Oh ! mais, remarque-t-il avec un clignement d’œil astucieux, j’avais quelques sous… un « magot », quoi!… Alors, on m’a mis dans « l’individuelle ». Et vous voyez, je suis libre.
« Et ! Oui, c’était un malin » ajoute J. Dhur. Car l’administration pénitentiaire classe ses « clients » de la relégation en deux catégories : ceux qui n’ont pas le sou demeurent à la section collective, pêle-mêle, dans la promiscuité de la case. S’ils ont des moyens d’existence, ― même provenant de l’escroquerie et du vol, et c’est le cas le plus souvent, — on leur permet. d’exercer une profession, librement.
La promenade continue
Nous filons à belle allure, les guides hautes. Devant nous se défile une haute colline, éclaboussée de soleil, et, au pied, comme dégringolée du sommet, toute une cascade de maisons basses, aux toits de zinc : c’est Nouméa. Et, toute proche au delà de l’eau morte de la baie, l’île Nou qui, avec les longs bâtiments clairs de ses pénitenciers, et ses pâtés de bâtisses blanches, se dresse comme une vague monstrueuse, immobile et figée.
— Le bagne ! Montrai-je.
Brutalement m’ont sauté au cerveau, en image terrifiante, des souvenirs de mes lectures d’enfance : dans un bruit de chaises remuées, sous le fouet de la garde-chiourme, des forçats, à la casaque rouge et au bonnet vert, hurlant de douleur et de rage… Et dans mon geste, dans ma voix, il y a sans doute comme un effarement, car mon compagnon ébauche un sourire, me rassure :
— Oh ! ici, le bagne n’a rien de terrifiant. Il est d’ailleurs partout… Au soleil… Dans la rue… À votre hôtel… Au café que nous venons de quitter, le garçon qui vous a servi, c’est un bagnard ! Un bagnard encore, celui qui fait votre chambre et cire vos bottes!… Un bagnard toujours le coiffeur qui vous rase…
N’est-ce pas que, c’est charmant ? Ça vous donnerait envie d’y aller!…
Nous attendons que Jacques Dhur, dans une nouvelle série d’articles, tente de nous faire croire que la prison centrale où lentement Cottjn se meurt, est un palace et les bagnes militaires des endroits de plaisir et de repos.
Pierre Mualdès