La Presse Anarchiste

La femme dans le Monde

Il est tout à fait natu­rel de voir, dans une Revue anar­chiste, une rubrique consa­crée aux femmes. Depuis assez long­temps, et aujourd’­hui encore, dans les revues bour­geoises, la voix des hommes est seule à se faire entendre. Il est l’heure, pour nous autres femmes, d’é­le­ver notre voix per­son­nelle. Voix de concorde, de dou­ceur, de bon­té. Qu’elle ne s’é­lève jamais pour encou­ra­ger au crime, pour prê­cher la guerre, pour faire perdre à l’hu­ma­ni­té le peu de rai­son qu’elle pos­sède. Mais qu’elle soit, au contraire, un encou­ra­ge­ment conti­nuel pour atteindre à plus de jus­tice, à plus de fraternité.

N’ou­blions jamais que nous sommes des femmes, c’est-à-dire nées pour être com­pagnes de l’homme et créa­trices de vie. « Je suis née pour aimer et non pour haïr », disait, il y a plu­sieurs siècles, une héroïne du théâtre antique : Anti­gone. Mot admi­rable, qui résume toute la femme, la femme digne de ce nom. Oui, nous sommes nées pour aimer. Et s’il nous faut haïr, si la socié­té mau­vaise nous impose cette défor­ma­tion de nous-mêmes, que notre haine, du moins, ne soit pas aveugle. Sachons haïr l’in­jus­tice, le men­songe, les pré­ju­gés, la guerre. Que notre éner­gie se retourne contre tout ce qui, dans la socié­té, nous tor­ture ou nous étouffe. Sachons mau­dire les pri­sons, les palais de « jus­tice », les bagnes, les dra­peaux et les lois. Mais que cette haine féroce n’en­va­hisse pas tout notre cœur : assez long­temps les hommes, fidèles à leurs ins­tincts de des­truc­tion, ont vécu, par­lé et écrit en vue de se déchi­rer les uns les autres. Notre rôle, plus modeste sans doute, doit être plus utile et plus beau : des­ti­nées à don­ner la vie, nous vou­lons désor­mais empê­cher qu’on la détruise ou qu’on la mutile inuti­le­ment sur les champs de bataille. Notre idéal, anti-guer­rier, anti-patrio­tique, anti-capi­ta­liste est conte­nu tout entier — et au delà — dans le noble idéal anar­chiste. C’est donc à lui que doivent aller par­ti­cu­liè­re­ment nos pré­fé­rences ; à lui qui réclame, pour nous comme pour les hommes, l’é­man­ci­pa­tion inté­grale de l’être humain ; à lui qui tra­vaille avec ardeur, par la parole, par la plume et par l’ac­tion, à cette éman­ci­pa­tion qu’il ren­dra plus proche.

Seule par­mi les doc­trines poli­tiques ou phi­lo­so­phiques connues, l’a­nar­chisme se pré­sente aux femmes d’une manière entiè­re­ment dés­in­té­res­sée, sans deman­der leur enrô­le­ment ou leur voix élec­to­rale, les per­sua­dant sim­ple­ment de tra­vailler, pour elles-mêmes, à leur libé­ra­tion. Can­ton­née jus­qu’à pré­sent dans le domaine fami­lial, main­te­nue tou­jours au foyer, la femme moderne aspire cepen­dant à l’in­dé­pen­dance. Indé­pen­dance maté­rielle d’a­bord : elle veut, au point de vue éco­no­mique, s’é­man­ci­per de la tutelle mas­cu­line, sub­ve­nir elle-même à ses besoins. Les plus favo­ri­sées luttent avec les hommes sur le ter­rain intel­lec­tuel, sont, comme eux, pro­fes­seurs, méde­cins, avo­cats…; les autres se restreignent au tra­vail manuel, enva­hissent l’u­sine, l’atelier.

Les plus éman­ci­pées réclament leur indé­pen­dance poli­tique : elles veulent prendre part aux luttes des par­tis, aux polé­miques élec­to­rales elles sol­li­citent, avec pas­sion, le bul­le­tin de vote qui — enfin — les égales des élec­teurs. Étrange éman­ci­pa­tion, en véri­té, celle qui, vous liant sous le même joug, celui de la loi, vous fait ain­si l’é­gale d’un esclave !

Mais toutes les femmes ne sont point pro­fes­seurs ou suf­fra­gettes. Les autres, loin de se rési­gner à voir l’homme com­man­der par­tout et tou­jours, veulent avoir, elles aus­si, leur part d’au­to­ri­té ! Elles lui font sen­tir qu’elles repré­sentent dans le monde une force, une force ter­rible et domi­na­trice, qui devien­dra néfaste sou­vent ; elles ramè­ne­ront l’homme, par leur puis­sance pas­sion­nelle, à leur propre niveau intel­lec­tuel et moral. Com­bien de cher­cheurs, com­bien de pro­pa­gan­distes ont été, par une femme, détour­nés de l’ac­tion ou de l’i­dée ! Il n’est même pas néces­saire que cette femme ait vou­lu expres­sé­ment les en détour­ner : la pas­sion, la dou­ceur enve­lop­pante dont elle les entoure agis­saient seules, et l’homme, jus­qu’i­ci fidèle ser­vi­teur de l’i­dée, est deve­nu, presque à son insu, unique ser­vi­teur de la femme.

C’est que la femme pos­sède une puis­sance incon­tes­table, bonne ou mau­vaise, elle aus­si, sui­vant l’u­sage qu’elle en fait. Elle ne l’i­gnore nul­le­ment. Mais sou­vent, elle s’en sert pour gar­der l’es­prit de l’homme dans le petit cercle d’i­dées où elle est à l’aise. Comme elle pour­rait l’é­le­ver cepen­dant ! Il y aurait là un rôle magni­fique, pour les femmes. L’a­mour comme fac­teur d’é­lé­va­tion intel­lec­tuelle et morale, quelle plus belle concep­tion pour­rait-on s’en faire ? Il y a, à ce sujet, quelques belles lignes de Miche­let dans son livre : La Femme. En voi­ci quelques-unes :

« Si Dieu m’a­vait fait naître fille, j’au­rais bien su me faire aimer. Com­ment ? En exi­geant beau­coup, en com­man­dant des choses dif­fi­ciles, mais nobles et justes. À quoi sert la royau­té si on ne l’emploie ? Il est sans nul doute un moment où la femme peut beau­coup sur l’homme, où celle qui sent sa valeur le charme, en lui fai­sant de hautes condi­tions, en vou­lant qu’il prouve sérieu­se­ment qu’il est amou­reux. Ce que je vous demande, lui dit-elle ? J’exige que du jeune bour­geois, de l’é­tu­diant vul­gaire vous me fas­siez la créa­ture noble, royale, héroïque que j’ai tou­jours eue dans l’es­prit, et cela non pas pour un jour, mais pour une trans­for­ma­tion défi­ni­tive et radicale. »

Oui, c’est là, en effet, le vrai, le noble rôle de l’a­mour. Sans cette flamme d’i­déa­lisme, il reste vul­gaire et d’ailleurs bien fra­gile. Il est, comme le dit un contem­po­rain « un bien grand mot pour la petite chose dont se contentent les hommes », du moins pour la plupart.

Mais ne déses­pé­rons pas de l’é­le­ver plus haut. Et d’a­bord, com­men­çons par édu­quer les femmes, car l’a­mour res­te­ra long­temps, tou­jours peut-être, le grand but de leur vie. Que leurs com­pa­gnons s’y appliquent avec une constance, une per­sé­vé­rance jamais las­sées, en leur don­nant l’exemple, d’a­bord dans leur vie pri­vée. Elles sont, ne l’ou­blions pas, les véri­tables édu­ca­trices de l’en­fant, et les maî­tresses du genre humain. Le jour où toutes les femmes du monde com­pren­draient noble­ment leur rôle, la Révo­lu­tion sociale ne serait plus à faire nulle part, elle serait deve­nue une chose accomplie.

Une révol­tée


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste