Notre ami S. Faure en me priant de rédiger la rubrique « Rions un brin » a défini ainsi mes attributions : « Faire chaque mois un papier gai sur un sujet triste ».
Je suis un homme consciencieux. Au reçu de la lettre de notre rédacteur principal, j’ai ouvert mon journal pour y chercher le sujet le plus triste qui soit. Deux titres attirèrent mon attention : La chute du ministère, et le tri-centenaire de Molière. En termes pareillement apitoyés, le folliculaire se lamentait sur les déboires politiques de Briand et sur les malheurs conjugaux de J.-B. Poquelin.
C’étaient là, évidemment, deux sujets de tristesse patente ; mais j’hésitai à choisir entre les deux, et toute la journée je m’efforçai à définir si vraiment il était plus triste d’être cocu que ministre.
La nomination de Poincaré trancha mon indécision. Je tenais mon sujet, non pas seulement triste, mais sinistre. Ce nom-là, à lui seul, est une calamité publique. Tout ce que l’humanité connaît de pire dans la fourberie, la misère intellectuelle, la pourriture morale, la cruauté et l’abjection, peut se symboliser et se résumer dans le nom de Raymond Poincaré. L’homme du Crédit Foncier et du trust de Saint-Gobain, l’avocat de Rochette et du marquis de Voguë, compromis depuis vingt ans dans toutes les escroqueries, tous les trafics d’influences, toutes les affaires véreuses écloses sur le fumier d’un régime en décomposition. Ce cafard lâche et sournois qui envoya son compère Bolo à la Caponnière, ce pou mégalomane dont toute l’activité politique se concentra dans ce but : « Acculer l’Allemagne à la guerre », le complice du nain Delcassé, l’homme d’Isvolsky et de Raspoutine, Raymond Poincaré dont le nom signifie mille milliards de ruine, et dix millions de cadavres ; Poincaré, enrichi dans la fiente et dans le sang ; Poincaré auréolé de sa démence sadique et de ses crimes ; Poincaré, par la grâce du suffrage universel, va de nouveau gérer les « intérêts de la France ».
Et vous ne trouvez pas que c’est drôle ? Moi, je me tiens les côtes de rire. La plaisanterie est peut-être un peu grosse, un peu farce, mais c’est d’un comique irrésistible. Une chambre qui contient, à dire vrai, des experts comme Mandel, Daudet et Xavier de Maghalon, ne pouvait mieux réussir dans le genre humoristique. Elle a acclamé le nouveau président du conseil comme son chef naturel, et cela est d’une belle logique : un Parlement composé d’escrocs, de munitionnaires et de bouffons devait se reconnaître, se concentrer et se symboliser dans Raymond Poincaré.
Oui, je sais bien ce que vous allez me dire : « À côté du guignol, il y a l’isolement de la France, l’hostilité du monde entier contre l’impérialisme rageur et provocant d’un bloc d’appétits qui, par euphémisme, s’appelle Bloc National ; il y a le chômage, la misère grandissante, le Nord ravagé, ruiné, et dont on interdit aux Allemands, comme ils l’offraient, d’opérer la reconstruction gratuite ; il y a les orphelins, les veuves, les parents des assassinés, dont publiquement on ovationne l’assassin ; il y a la prochaine dernière guerre que l’on va peut-être préparer dans la caverne du Quai-d’Orsay ».
À qui le dites-vous ? Je suis dans le programme, Sébastien m’a demandé de choisir un sujet triste.
Mais le titre de cette rubrique indique que l’on va rire : et vous n’avez pas encore ri. C’est que nous n’avez pas regardé la tête de Jouhaux et celle de Marcel Cachin.
Ça, je vous assure que c’est drôle. La C.G.T. à Jouhaux, comme le café de la France, « fout le camp ». L’ancien ouvrier en allumettes chimiques cherchait une retraite honorable. Depuis le temps qu’il traînait ses guêtres dans les salons ministériels, on lui devait bien cette récompense. Je sais que Briand songeait à lui pour un sous-secrétariat, et que la place lui était promise dans le prochain remaniement du cabinet. Adieu veau, vache… cochon. Poincaré s’enflamme tout seul, il n’a nul besoin d’ouvrier allumettier. Aussi long que celui de Mandel est devenu le nez de Jouhaux. On dit qu’il songe à prendre une place dans les pompes funèbres. Il pourra ainsi assister aux funérailles de ses illusions.
Au congrès de Marseille, on s’est disputé, cinq jours durant, pour connaître les communistes les plus révolutionnaires. C’était très amusant. Chaque congressiste se frappait la poitrine pour attester son courage indéfectible. Ceux dont la voix était la plus convaincante recevaient un brevet de révolutionnaire éprouvé qui leur donnait droit à une place de 1.200 ou de 1.500 francs par mois, plus des frais de déplacement évalués 50 fr. par jour ; ce qui, ajouté pour certains aux 73 fr. 95 quotidiens de leurs émoluments de député communiste, donnait au brevet une valeur non négligeable. Aussi je vous prie de croire, qu’a Marseille, ils criaient fort. Les révolutionnaires éprouvés rêvaient à une longue suite de jours heureux et paisibles. Briand était de tout repos et se laissait volontiers taper sur le ventre. Et maintenant le rêve est cassé, crevé comme une Baudruche. Le Poincaré est plein de ténèbres et de sinistres projets. Le métier de révolutionnaire éprouvé va devenir dangereux. Qui sait ? Demain, au lieu de descendre à la caisse, peut-être faudra-t-il descendre dans la rue ? Les révolutionnaires verbaux sont congestionnés. Ce Poincaré, quel salaud !
Eh bien, moi, je trouve cela très amusant et je bénis les dieux d’être né en des temps aussi curieux.
Tenez : ce mois-ci n’a pas seulement vu le centenaire de Molière et l’avènement de Poincaré, c’est aussi dans ce même janvier que se trouve l’anniversaire de Raymond Callelmin. Vous vous souvenez bien ? Callemin ! la bande à Bonnot ! Callemin, avec ses compagnons, pensait que le travail ne nourrit pas son homme, il s’arma d’un browning et se mit à tirer sur les bourgeois pour leur reprendre ce qu’il jugeait nécessaire à la satisfaction de ses besoins. Cette méthode ne lui réussit pas. Il acquit le beau surnom de Raymond-la-Science, mais il mourut à la fleur de l’âge, dans les bras de Deibler.
Raymond Poincaré, dévalisa, lui aussi, les banques et les riches bourgeois, mais il opérait à l’abri d’une robe d’avocat. Cette façon de pratiquer la reprise individuelle lui donna des résultats supérieurs. Plus tard, il s’associa à une bande de malfaiteurs et travailla en grand. Il put ainsi s’emparer de tous les engrais chimiques français et de la présidence de la République. Puis, grisé par le succès, il enrôla une troupe armée, qu’il lança sur des capitalistes étrangers, lesquels furent dépouillés des mines de la Sarre, des puits de pétrole de Galicie, et d’autres menus objets. Mais comme il opérait masqué, il demeura. impuni. Le nombre de ses complices, tous recouverts, comme lui, du masque « patriotique », fait même penser qu’il ne subira pas le sort de ce pauvre Callemin, lequel opérait à visage découvert et qui, au demeurant ne tua que deux ou trois imbéciles.
Je pense même que, nonobstant les révolutionnaires éprouvés, Raymond Poincaré mourra dans son lit, honorable, honoré, regretté de ses amis et de toute sa famille, grand croix de la Légion d’honneur, et muni des sacrements de l’Église.
Cet homme qui a fait sa fortune dans les engrais et qui a trouvé la gloire dans le fumier de la guerre est digne d’être le président du Conseil de la France du Bloc National.
Et puisque Raymond-la-Science est mort : vive Raymond-la-Fiente !
Mauricius