La Presse Anarchiste

Dans les syndicats

Les anar­chistes ont com­pris, à nou­veau, tout l’in­té­rêt qu’il y a, pour assu­rer la pro­pa­ga­tion de leurs théo­ries et de leur bel idéal, de péné­trer dans l’or­ga­ni­sa­tion syndicale.

Le grou­pe­ment éco­no­mique de la classe ouvrière leur appa­raît comme repré­sen­tant, par sa forme, sa com­po­si­tion et sa struc­ture, l’ap­pa­reil sus­cep­tible de faci­li­ter l’é­ta­blis­se­ment de la socié­té qu’ils entrevoient.

Il est donc fort inté­res­sant de don­ner à la ques­tion, syn­di­cale une place impor­tante, dans nos études comme dans nos dis­cus­sions, pour per­mettre à cha­cun de nous de déter­mi­ner la posi­tion qu’il est indis­pen­sable de prendre.

Nous devons nous atta­cher à obser­ver les faits saillants, dont le relief attire plus spé­cia­le­ment l’at­ten­tion des mili­tants, tou­jours en quête de connais­sances approfondies.

Nous devons, en face des atti­tudes diverses, et par une étude com­pa­ra­tive, tirer tous les ensei­gne­ments utiles à notre propre action.

Nous devons pui­ser dans l’ob­jec­ti­vi­té des expres­sions et mani­fes­ta­tions sociales et éco­no­miques, et aus­si dans le fatras des argu­ments favo­rables ou défa­vo­rables, ce qui doit ren­for­cer nos convic­tions déjà soli­de­ment établies.

Cela, nous pou­vons le faire, en sui­vant pas à pas, les évé­ne­ments qui se déroulent, pré­sen­te­ment, dans le syn­di­ca­lisme. Ce serait man­quer à la tâche qui nous incombe, comme au rôle qui nous échoit, que de se dés­in­té­res­ser de la situa­tion angois­sante dans laquelle évo­lue le seul mou­ve­ment spé­ci­fi­que­ment ouvrier.

Pas­sons donc en revue ces quelques semaines écou­lées, fer­tiles en ensei­gne­ments de toutes sortes, dont l’im­por­tance ne peut nous échapper.

* * * *

Le Congrès Uni­taire des 22,. 23 et 24 décembre der­nier, nous four­nit l’oc­ca­sion de faire plus d’une consta­ta­tion intéressante.

Il est indis­cu­table que c’est devant des actes d’ex­clu­sion consom­més par les « Gou­ver­nants » confé­dé­raux, dont les dési­rs de scis­sion se réa­li­saient, que cer­taines orga­ni­sa­tions ont cru devoir faire appel aux Syn­di­cats qui s’é­taient for­mel­le­ment décla­rés pour l’u­ni­té ouvrière.

Une majo­ri­té impo­sante s’est pro­non­cée contre la poli­tique du bureau confé­dé­ral en assis­tant an Congrès, et pour­tant ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler « le crime contre le Pro­lé­ta­riat » s’est accom­pli par la volon­té de quelques indi­vi­dus qui se sont abu­sés jus­qu’à se prendre au sérieux en se croyant des chefs, alors qu’ils ne sont même pas des hommes. (C’est, au sur­plus, ce qui advient chaque fois qu’un être quel­conque a la pré­ten­tion de vou­loir conduire les autres).

En face d’une telle situa­tion, tous les délé­gués se sont mis d’ac­cord pour faire connaître leur atta­che­ment indé­fec­tible à l’u­nion des exploi­tés dans le syn­di­cat. Mais, en revanche, ils se sont bor­nés à uti­li­ser un moyen en hon­neur chez les gou­ver­nants, lors­qu’il s’a­git de recher­cher les res­pon­sa­bi­li­tés d’un état de guerre.

Je ne sais si l’on tient à jus­ti­fier une fois de plus, que la vie est un éter­nel recom­men­ce­ment, mais nous aurons bien­tôt, je pense, nos livres : blanc, vert, jaune ou rouge, qui, pleins de lettres, cir­cu­laires, ordres du jour et autres docu­ments, seront char­gés d’é­ta­blir les responsabilités.

Aus­si, comme il est à craindre que les tra­vailleurs ne se perdent dans le maquis de cette nou­velle pro­cé­dure, j’es­time qu’il est pré­fé­rable de pas­ser outre et de nous atta­cher à des sujets plus sub­stan­tiels et compréhensibles.

La scis­sion — que nous eus­sions vou­lu évi­ter à tout prix ― trouve sa source dans une ques­tion fon­da­men­tale de prin­cipe : ici, le syn­di­ca­lisme, là sa néga­tion ; d’un côté, la lutte des classes, de l’autre la col­la­bo­ra­tion étroite ; d’une part, l’ac­tion directe du tra­vailleur, d’autre part, l’i­nac­tion indi­recte qui résulte d’une poli­tique d’a­ter­moie­ments et de réformes boi­teuses : la Charte d’A­miens dres­sée devant le pro­gramme de Saint-Mandé.

De plus, c’est la liber­té d’o­pi­nion, sans laquelle ne peut vivre le syn­di­ca­lisme, qui se trouve vio­lée mani­fes­te­ment ; il est bon d’in­sis­ter sur ce point, pour que les masses com­prennent que chaque fois qu’il sera por­té atteinte à la liber­té d’o­pi­nion, ce sont elles qui auront à en souf­frir. De cette façon, si d’autres, demain, avaient la même pré­ten­tion, pour un but plus ou moins avoué, ils ren­con­tre­raient une telle résis­tance, qu’ils vien­draient s’y bri­ser définitivement.

En ce qui nous concerne, pour ajou­ter à la net­te­té de la posi­tion prise, nous aurions dési­ré que la ques­tion de fond fût débat­tue, car il serait heu­reux que cha­cun com­prît que, par­ti­sans de la liber­té l’o­pi­nion et du grou­pe­ment des tra­vailleurs, sans dis­tinc­tion de ten­dances, nous sommes appe­lés à des confron­ta­tions d’i­dées, de théo­ries et de doc­trines, et que les débats qui s’ins­ti­tue­ront ne doivent faire peur à per­sonne. Ceux qui ont peur de la dis­cus­sion large et sérieuse, avouent impli­ci­te­ment, qu’ils manquent de confiance dans la valeur des argu­ments qui militent en faveur de la thèse qu’ils défendent.

* * * *

Le Congrès mino­ri­taire s’est affir­mé davan­tage que celui qui l’a­vait pré­cé­dé. Il est vrai que l’in­fluence du Congrès uni­taire s’y est fait sérieu­se­ment sen­tir et que les débats qui s’y pour­sui­virent, étaient mar­qués d’un esprit pré­pa­ré à plus de net­te­té, de clar­té et de précision.

On com­pre­nait que les méthodes d’obs­cu­ran­tisme et de lou­voie­ment se trou­vaient péri­mées, la situa­tion ne per­met­tant pas de prendre une posi­tion acro­ba­tique autant qu’instable.

Aus­si, en dehors de la ques­tion du grou­pe­ment de la mino­ri­té, lorsque la dis­cus­sion se dérou­la sur le sujet de la liai­son orga­nique, ― qu’il serait dif­fi­cile, pour ne pas dire impos­sible d’in­ter­pré­ter autre­ment que comme une subor­di­na­tion hypo­crite ― on s’a­per­çut bien vite que les manœuvres et « com­bi­na­ziones » n’a­vaient pas obte­nu le résul­tat qu’en pou­vaient attendre ceux qui en furent les auteurs ou interprètes.

Mal­gré toute « l’au­to­ri­té » que confère le titre de membre de l’Exé­cu­tif de l’I.S. dite rouge et la « puis­sance invul­né­rable » que peut pos­sé­der celui qui revient de là-bas, après avoir appro­ché les illus­tris­simes et savan­tis­sismes gou­ver­nants mos­co­vites, dont les incom­pa­rables connais­sances déteignent avec rapi­di­té sur ceux qui éprouvent : l’i­nef­fable bon­heur d’être reçus par eux, et. Bien ! mal­gré tout cela, ce cher Ros­mer ― qui ne peut digé­rer la pilule ― a été bien pauvre sur tous les ter­rains qu’il a effleu­rés, y com­pris celui de l’adhé­sion à son Internationale.

Sa leçon était cer­tai­ne­ment bien apprise, et nous devons recon­naître que son hon­nê­te­té l’a pous­sé jus­qu’à des décla­ra­tions, dépas­sant cer­tai­ne­ment les limites qui lui avaient été assi­gnées. Ceci, pour dire que l’on oublie rare­ment. qu’il fut un temps où l’on défen­dait la véri­té contre le men­songe, la clar­té contre l’obscurité.

Les délé­gués mino­ri­taires ― la sai­son aidant — res­tèrent froids à ses appels qui auraient vou­lu paraître déses­pé­rés. Ils demeu­rèrent impas­sibles, lors­qu’ils enten­dirent, pour la nème fois, qu’il fal­lait choi­sir entre Amster­dam ou Mos­cou, ce qui est une façon comme une autre de cou­per court à toute dis­cus­sion, et aus­si que ceux qui n’adhè­re­raient pas à Mos­cou, seraient. des contre-révo­lu­tion­naires, —autre façon à recom­man­der à ceux qui veulent légi­ti­mer une erreur qu’ils ont pu commettre.

Bien enten­du, tous les cama­rades qui lui suc­cé­dèrent lui firent com­prendre — à moins qu’il ne veuille rien entendre, — que le temps n’é­tant plus où l’en­thou­siasme irré­flé­chi pou­vait encore être de mise, il est néces­saire main­te­nant de s’ex­pli­quer posé­ment et fran­che­ment, pour déter­mi­ner une atti­tude qui, logi­que­ment, sera en contra­dic­tion avec celle qu’il a prise et qu’il ne veut pas lâcher, même devant la Raison.

Son insis­tance s’ex­plique assez bien quand on songe que les « direc­teurs moraux » — ô com­bien ! — du syn­di­ca­lisme étaient réunis à Mar­seille où ils devi­saient, les yeux per­dus — et leurs illu­sions aus­si, pro­ba­ble­ment — dans la Grand Bleue, sur la péné­tra­tion et l’emprise poli­tiques dans l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique. Et dame ! il eût été sou­hai­table pour eux, d’a­voir à se mettre sous la dent, la mino­ri­té syn­di­ca­liste, en atten­dant que leur soit ser­vi la « bouilla­baisse » tra­di­tion­nelle en ce beau pays.

Le contraire s’é­tant pro­duit, ils se trou­vèrent sans appé­tit et ne purent, par consé­quent, assi­mi­ler ce que leur appor­tait le cour­rier de Paris.

Peut-être en feront-ils une mala­die, en tous cas, ils rédi­gèrent une ordon­nance les concer­nant, où l’on trouve de tout et rien.

C’est ain­si que soi­gnait le Méde­cin mal­gré lui.

* * * *

Mais ce dont je ne doute pas, c’est qu’ils auront des sur­sauts, qu’il nous faut pré­voir, pour qu’ils ne soient dan­ge­reux pour per­sonne : c’est une occa­sion pour l’es­prit cri­tique des anar­chistes, de s’exercer.

Les com­pa­gnons ne doivent rien lais­ser au hasard, car c’est pour eux une impé­rieuse néces­si­té d’être prêts à répondre à tontes les ten­ta­tives qui seraient diri­gées contre le mou­ve­ment ouvrier qui for­me­ra la base éco­no­mique de la socié­té régénérée.

Le syn­di­ca­lisme a sa place dans l’ac­ti­vi­té débor­dante de ceux qui ont épou­sé la haute et pure phi­lo­so­phie anar­chiste. En péné­trant au syn­di­cat, grâce à ses bases, à sa forme, comme à sa com­po­si­tion, ils conser­ve­ront leur belle indé­pen­dance et y main­tien­dront l’es­prit qui l’a­ni­mait, lorsque notre regret­té F. Pel­lou­tier lui fit le sacri­fice de sa san­té, de sa vie.

Véber


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