La Presse Anarchiste

Revue des revues

Hen­ri Bar­busse par­lait dernière­ment dans l’Hu­man­ité de : ces anar­chistes intel­lectuels qui savent bien ce qu’ils ne veu­lent pas, mais ne savent pas ce qu’ils veu­lent. [[Je viens de pass­er une demi-heure env­i­ron à rechercher, par­mi de vieux jour­naux, l’ar­ti­cle en ques­tion, afin d’indi­quer sa date exacte. Je n’ai pu le retrou­ver. Et dans le pre­mier numéro de Clarté où Bar­busse écriv­it un arti­cle sous le même titre, je n’ai pu retrou­ver la phrase. Il n’im­porte d’ailleurs : je me porte garant de l’ex­ac­ti­tude de ma cita­tion.]]. Ce n’est pas ici le lieu de réfuter ce para­doxe ver­bal autant que verbeux.

Mais comme ce soir, l’e­sprit porté à la rigo­lade, je veux néan­moins épin­gler ces mots en tête de cette pre­mière chronique des revues.

Car elle sera, pré­cisé­ment, une manière d’in­tro­duc­tion. Avant de com­mencer à tenir cette rubrique, que j’ai accep­tée avec joie, je veux expli­quer d’abord à mes amis et lecteurs ce que… je ne veux pas (pour con­tenter Barbusse!).

Néan­moins, il me per­me­t­tra sans doute bien, la dic­tature des faiseurs de dis­cours révo­lu­tion­naires n’é­tant pas encore instau­rée, de pré­cis­er ensuite ce que… je veux.

Voici donc.

[|* * * *|]

Ce que je ne veux pas ? Eh ! c’est bien sim­ple. Je ne répéterai pas ce que font presque tous les chroniqueurs.

Ouvrez, en effet, n’im­porte quelle revue qui se respecte et qui a, comme de juste, une Chronique des Revues. Il y a d’abord le gros du morceau : flat­ter­ies et louanges pour les uns, aigres reproches et con­stata­tions jalous­es au sujet des autres. Puis, suit, en mémen­to, une liste inter­minable de revues reçues, une avalanche de titres et de som­maires tous plus ou moins promet­teurs. Ça mon­tre évidem­ment qu’on a regardé les revues reçues, qu’on a lu au moins la cou­ver­ture, qu’on a déchiré la bande (encore que quelque­fois!) Mais après ? Croyez-vous que le chroniqueur a lu tout ce qu’il énumère. Le pau­vre homme, la moitié de sa vie n’y suf­fi­rait pas.

Regardez encore ces revues et par­courez leurs rubriques. Vous y ver­rez un four­mille­ment d’ép­ithètes aus­si lauda­tives que vagues et s’ap­pli­quant d’ailleurs avec une égale oppor­tu­nité à n’im­porte quelle œuvre. Il serait curieux de faire le bilan des psy­cholo­gie raf­finée, des con­teur déli­cat, des noble écrivain, des poète inspiré, et autres qual­i­fi­cat­ifs dont on affu­ble à tort et à tra­vers et à tour de rôle, poètes et prosa­teurs. Cette méth­ode ne me dit rien qui vaille et je n’ai pas l’habi­tude de bour­rer ain­si le crâne à mes lecteurs.

Les revues sont encore le dernier refuge de la politesse et de l’ur­ban­ité, ces formes raf­finées de l’hypocrisie et du men­songe au vingtième siè­cle. Une revue d’a­vant-garde ne peut faire autrement que sourire à une autre revue d’a­vant-garde. Une autre, patri­ote, admire et con­tem­ple béate­ment le moin­dre acros­tiche ou France rime (com­bi­en riche­ment!) avec souf­france. Dès qu’un intrus manque aux con­ve­nances, il faut voir comme on lui jette à la tête les pires injures : jalousie, peur de la con­cur­rence, ricane­ments des médi­ocrités, etc., etc. Et il se « fait vider » en vitesse du con­cert famil­ial. Je me ferai prob­a­ble­ment maudire aussi.

[|* * * *|]

Car — Hen­ri Bar­busse lui-même ne trou­vera pas mau­vais que je pré­cise, main­tenant que j’ai com­plaisam­ment prou­vé com­bi­en je sais ce que je ne veux pas, moi, mis­érable anar­chiste intel­lectuel — voici ce que je veux.

D’abord, dire car­ré­ment, bru­tale­ment s’il le faut, ce que je pense. Je n’imit­erai pas ces com­mu­nistes qui, parce qu’Ana­tole France adhère au Par­ti S.F.I.C. se croient tenus de le célébr­er pour le plus grand écrivain français et affir­ment très sérieuse­ment que le scep­ti­cisme d’A. F. nous rend pré­cieuse son adhé­sion à nos idées. Car des idées sont bien fortes, lorsqu’elles peu­vent fix­er un esprit ondoy­ant et divers qui fit le tour de tout et ne trou­va, partout ailleurs, qu’un plus grand doute. Je ne plaisante pas : c’est de l’Hu­man­ité d’au­jour­d’hui : jeu­di 12 jan­vi­er 1922. Pour moi, un poète aura beau se dire lib­er­taire : ce ne sera aucune­ment une rai­son pour que je trou­ve admirables toutes ses pro­duc­tions. Et un philosophe aura beau se proclamer — ou être proclamé — d’avant-garde, je ne me croirai nulle­ment tenu de m’age­nouiller devant ses. for­mules. — Que mes lecteurs se ras­surent ; je ne veux pas non plus dén­i­gr­er sys­té­ma­tique­ment nos amis, loin de la ! Mais avant tout, j’en­tends dire ce que je pense et rien que ce que je pense.

Ensuite, je veux faire juger directe­ment à mes lecteurs et non leur impos­er mon juge­ment. Quand je ren­con­tr­erai dans une revue, fût-elle roy­al­iste, un beau poème, j’en cit­erai autant que pos­si­ble quelques vers. Si un arti­cle me frappe, je le résumerai peut-être, mais je tacherai de citer la con­clu­sion ou les pas­sages les plus sail­lants. Mes chroniques seront le plus sou­vent « con­fec­tion­nées aux ciseaux », dirais-je, si cette image n’é­tait périmée et fausse pour moi. Je n’aime pas détéri­or­er mes revues et je m’as­treindrai à recopi­er ce que je voudrai soumet­tre à mes lecteurs. Mais je ne les abreuverai pas d’ép­ithètes banales, ni de juge­ments tout faits. Ils jugeront par eux-mêmes et j’imag­ine que cela leur siéra tout autant.

Enfin, je ferai un choix. Il est des choses que je passerai sous silence, des revues dont je ne par­lerai pas. Oh ! je vous entends, mes bons amis : tout effort mérite qu’on s’y intéresse, la poésie, même médiocre, est un idéal préférable à l’abrutisse­ment du bistrot, etc., etc. Je vous entends, vous dis-je. Mais quoi, parce qu’à Cher­bourg, un col­légien a célébré la rose en stro­phes désuètes entre une cig­a­rette vom­i­tive et un baba mal digéré, parce qu’à Pont-d’Oye un amoureux chantera les yeux et les cheveux de sa brune ou de sa blonde, au lieu de s’oc­cu­per avec elle et de nous fiche la paix, parce qu’à Mon­téli­mar ou à Agen, tel patri­ote local célébr­era en bal­lades ou en son­nets — ou en vers libres — les ver­tus du nougat et des pruneaux ; il faudrait que je passe mon temps à lire tout cela ? Quand les bois sont si jolis à l’au­tomne finis­sant, qu’il est si doux main­tenant de fumer sa pipe au coin du feu en remuant les sou­venirs et les rêves, que bien­tôt les champs tra­vail­lés par le renou­veau pal­piteront encore de vie et de fécon­dité. Allons donc ! Il est des revues que je jet­terai au panier sans hésiter, je le déclare net­te­ment. Et je ne par­lerai ici que de celles qui me paraitront présen­ter quelque intérêt, soit du point de vue de la pen­sée, soit de celui de la forme.

Sur ce, ami lecteur, à la prochaine.

Mau­rice Wullens


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