La Presse Anarchiste

Dans l’Église

Il appa­raît incon­tes­table à l’ob­ser­va­teur atten­tif que, dans toute l’Eu­rope, les catho­liques tentent acti­ve­ment de rame­ner à eux les peuples plon­gés dans la dou­leur et la misère, par plus de quatre années de mas­sacres stu­pides. En cela, les tenants de Rome s’ins­crivent par­mi les membres de cette « Église mili­tante » dont il est par­lé dans le catéchisme.

Cet effort est logique. Il semble une ten­ta­tive de répa­ra­tion de la plus for­mi­dable erreur com­mise par l’É­glise. Depuis que les impé­ria­lismes rivaux des Patries se pro­me­naient, selon la parole de Jau­rès, « dans les rues de l’Eu­rope avec leur torche à la main », les diri­geants du Gesu et les diplo­mates du Vati­can n’é­taient pas sans voir le péril de la confla­gra­tion. Non seule­ment ils ne firent rien pour le conju­rer, mais ils culti­vèrent en tous pays, le bacille natio­na­liste, met­tant ain­si, comme dit le car­di­nal Billot, « la Patrie sur l’au­tel de Dieu ». La rai­son de cette « latrie » machia­vé­lique ren­due à l’i­dole d’en face, est simple : Escomp­tant la vic­toire des Empires cen­traux, l’É­glise voyait dans la guerre, un moyen de faire triom­pher, non seule­ment la Monar­chie, mais aus­si les idées d’au­to­ri­té et de droit divin qui forment le fonds de sa doctrine.

Mais on avait comp­té sans la téna­ci­té de l’im­pé­ria­lisme bri­tan­nique, et les mar­chands de la Cité, sou­cieux de conser­ver l’hé­gé­mo­nie, s’a­vé­rèrent meilleurs pro­phètes que les oints du Sei­gneur : les démo­cra­ties d’af­faires sortent vic­to­rieuses de la tourmente.

Cepen­dant. il serait pué­ril de croire à l’u­ni­té par­faite de l’É­glise. Comme dans toute orga­ni­sa­tion, divers cou­rants se mani­festent. Pen­dant que prêtres et moines, un peu par­tout, prê­chaient la guerre sainte aux noms contra­dic­toires d’un même Dieu et de Patries enne­mies, le pape, lui, pro­non­çait des paroles de paix. Erme­non­ville a rap­por­té les prin­ci­pales dans le Jour­nal du Peuple. Ain­si l’É­glise-Janus eut deux visages : l’un pour les conser­va­teurs de tous les natio­na­lismes ; mar­tial, armé de pied en cap, l’autre pour les chré­tiens véri­tables, paci­fique et lar­moyant. Le dogme de l’in­failli­bi­li­té était sauf.

La tour­mente pas­sée les diri­geants de l’É­glise, se ren­dant compte de l’i­né­luc­table triomphe de la démo­cra­tie dans le monde, ne pou­vaient décem­ment, adhé­rer tout de go à cet état de choses, nou­veau pour eux. Ils dis­po­saient d’un état major consi­dé­rable de pro­fes­seurs répan­dus dans tous les ensei­gne­ments ; ils en usèrent, et on vit poindre, un peu par­tout de nou­veaux groupes intel­lec­tuels, tan­tôt fran­che­ment catho­liques (comme celui des Lettres par exemple), tan­tôt « démo­crates-chré­tiens », comme ceux de quelques revues autri­chiennes ou alle­mandes. Ces groupes exercent une consi­dé­rable influence sur les milieux poli­tiques et les hommes d’ac­tion de l’É­glise puisent chez eux leurs direc­tives. Voi­ci en quels termes, dans « les Lettre » un écri­vain catho­lique, Georges Goyau, constate, pour l’I­ta­lie, l’im­por­tance de ce changement :

« Sur l’é­chi­quier de Mon­te­ci­to­rio les catho­liques ont désor­mais pris place ; on compte avec eux ; ils aspirent à gou­ver­ner ; épi­so­di­que­ment ils gou­vernent ; au gré des sol­li­ci­ta­tions de l’i­dée catho­lique, ils jouent un rôle de leviers ou bien un rôle d’obstacles…»

On peut affir­mer qu’en France il en va de même, sur­tout depuis les élec­tions de 1919, car le Bloc Natio­nal compte par­mi ses élus en assez grand nombre de dépu­tés, sinon catho­liques, du moins amis des catholiques.

Cette par­ti­ci­pa­tion aux affaires publiques n’empêche d’ailleurs pas l’É­glise d’être une puis­sance de régres­sion. Si elle accepte le par­le­men­ta­risme, la démo­cra­tie, etc., c’est contrainte par les évé­ne­ments, mais ses diri­geants rêvent tou­jours du Pas­sé : Dieu, Roi, Patrie. Tel est leur immuable idéal.

Les diverses petites pha­langes d’in­tel­lec­tuels catho­liques qui « noyautent » la socié­té moderne sont com­po­sées de gens de valeur, intel­li­gents, ins­truits de tout ce qui peut uti­le­ment les ser­vir et ils obéissent eux-mêmes « per inde ac cada­ver » aux direc­tives supé­rieures qui leur viennent du Vati­can ou du Gesu. Avec de pareils adver­saires, l’an­ti­clé­ri­ca­lisme de M. Homais serait ridi­cule. Dans quelques essais polé­miques qui eurent lieu entre les Lettres et l’Huma­ni­té, ce fut du côté catho­lique que l’on ten­dit le plus à éle­ver le débat dans les pures régions intel­lec­tuelles. Il convient donc, si l’on veut com­battre uti­le­ment l’in­fluence catho­lique, de réduire à néant l’ar­gu­men­ta­tion ser­rée des jeunes écri­vains des Lettres, et, pour ce, d’é­vi­ter soi­gneu­se­ment basses plai­san­te­ries et injures homai­siennes, les­quelles d’ailleurs n’ont jamais pu satis­faire que des esprits super­fi­ciels et grossiers.

La jeune géné­ra­tion de ces intel­lec­tuels catho­liques ne répugne pas à l’exa­men des ques­tions qui pas­sionnent le monde. Ils semblent avoir secoué l’es­prit de sacris­tie que sus­ci­tait naguère la verve d’un Léon Bloy. Il semble que, tout comme une puis­sance maté­rielle, l’É­glise se mette en quête de débou­chés nou­veaux, et, nous voyons dans le numé­ro de jan­vier des Lettres, M. Sta­nis­las Fumet exa­mi­ner la très impor­tante ques­tion du retour de l’É­glise ortho­doxe russe, au giron catho­lique. Il est bien évident que cette réunion infu­se­rait une vie nou­velle au vieux corps romain, car, mal­gré la fameuse pan­carte de Lénine : « La reli­gion est l’o­pium du peuple » les mou­jicks, voire les sol­dats rouges, conti­nuent leurs prières et leurs génu­flexions devant les saintes icônes.

Pour­tant, quel que soit l’ef­fort des catho­liques, ils trou­ve­ront tou­jours limi­té le champ de leur acti­vi­té céré­brale, puisque le Dogme intan­gible est là, et que, mal­gré toutes les sub­ti­li­tés casuis­tiques, il ne per­met pas la libre dis­cus­sion, dès que celle-ci atteint les prin­cipes essen­tiels qui le constituent.

C’est pour­quoi ces mes­sieurs seront tou­jours embar­ras­sés quand on affir­me­ra, par exemple, que, depuis le IVe siècle envi­ron, l’É­glise s’est faite la ser­vante du Pou­voir, ou plu­tôt sa com­plice ; et il leur sera assez dif­fi­cile d’ex­pli­quer com­ment le mythe Patrie, emprun­té par le XVIIIe siècle à une anti­qui­té livresque, a pu recueillir les suf­frages des prêtres et la bien­veillance de l’Église.

Mais, n’ont-ils pas pour se jus­ti­fier, les habi­le­tés sophis­tiques d’un Maur­ras catho­lique athée ? Ils pré­fé­re­ront sans doute, long­temps encore, cette ten­dance à celle, chré­tienne et anti-romaine, d’un Tol­stoï. L’É­glise allant tou­jours, non pas à ce qui se rap­proche le plus de l’en­sei­gne­ment du Christ, mais à tout ce qui est sus­cep­tible de conser­ver ou d’ac­croître sa puis­sance dans le monde. C’est ce que j’ap­pelle l’Im­pé­ria­lisme catholique.

Je ten­te­rai dans les pro­chains numé­ros de la Revue Anar­chiste, d’é­clai­rer nos lec­teurs sur l’é­vo­lu­tion de la pen­sée catho­lique irré­mé­dia­ble­ment pes­si­miste enne­mie au pro­grès —qu’elle nie d’ailleurs — et qui sera tou­jours, mal­gré d’in­di­vi­duelles vel­léi­tés d’in­dé­pen­dance, asser­vie aux forces du pas­sé qu’elle rêve tou­jours d’im­po­ser aux peuples rédî­més par la souf­france, selon la doc­trine de mort et de déses­poir ter­restre qui est sienne.

Génold


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